La dictature avait fait long feu en Tunisie "grâce" à plusieurs facteurs spécifiques au contexte socioculturel du pays. Le système de Ben Ali et son parti unique le RCD comptait sur une panoplie de procédés parmi lesquels le contrôle de l'information et l'opacité des données publiques occupaient une place de choix.
Après la révolte 14 janvier 2011, la Tunisie s'est dotée d'un ensemble de textes juridiques instaurant une assise légale pour la transparence et l'accessibilité des données de l'administration de l'Etat.
Parmi ces acquis de base on compte la reconnaissance du droit du citoyen à l'accès et à l'obtention de l'information détenue par l'Etat, ses administrations centrales, ses administrations locales ainsi que ses entreprises établissements publics.
Ce droit d’accès aux données publiques, communément désigné par le vocable OPEN DATA, ne se limite pas à promouvoir la transparence dans la gestion des affaires publiques, il permet aussi aux opérateurs économiques, tout en créant des emplois, de créer de véritables richesses en réutilisant les données publiques pour produire des applications mobiles, des guides pratiques, des études fiables sur la base d’informations et de chiffres vérifiables… etc.
C’est en effet une affaire très juteuse économiquement, d’ailleurs les chiffres ne plaisantent pas, la Commission européenne évaluait déjà en 2006 à 27 milliards d’euros la taille du marché de la réutilisation des données publiques au sein de l’Union européenne.
"Les administrations publiques européennes ont sous les pieds une véritable mine d'or, au potentiel économique inexploité, que constituent les énormes volumes d'informations recueillies par les divers pouvoirs et services publics", estime la Commission européenne qui assure que sa stratégie en matière d'Open Data peut "soutenir l'économie de l'Union à hauteur de 40 milliards EUR par an".
Dans un communiqué, Neelie Kroes, la vice-présidente de l’institution européenne avait souligné que « Les contribuables ont déjà payé pour ces informations et le moins que nous puissions faire c’est de les rendre à ceux qui souhaitent les utiliser d’une façon innovante qui aide les gens, crée des emplois et génère de la croissance ».
L’Open Data n’est pas qu’une affaire de pognon, c’est aussi un potentiel de données culturelles et scientifiques que l’on peut exploiter et divulguer, on pense ici aux données détenues par les bibliothèques, musées, archives … etc.
Concernant la Tunisie, il va sans dire que l’Open Data ne pouvait pas raisonnablement figurer, en mois de Mai 2011, dans l’ordre des priorités du gouvernement transitoire qui s’efforçait de garantir la continuité de l’Etat tout en préparant le terrain pour les élections de l’assemblée constituante du 23 octobre 2011. Pourquoi alors avons-nous eu droit à un décret-loi en mois de Mai 2011 prévoyant le droit d’accès aux documents publics alors que des textes plus urgents tels que les lois sur la liberté de la presse, les associations et les partis politiques n’ont vu le jour que plusieurs mois plus tard ?
Certains préfèrent expliquer la parution de ce décret-loi n°41 du 26 mai 2011 [Open Data] par l’indiscutable soumission de la Tunisie aux exigences du sommet du G8 tenu à Deauville en France le 26 Mai 2011, jour qui coïncide avec la promulgation du décret-loi Open Data en Tunisie.
On note aussi que la Tunisie a eu droit à des financements octroyés par la BAD et la BIRD pour la mise en place du programme des réformes OpenGov, Bonne gouvernance, les opportunités et le développement participatif mis en place pour soutenir l'activité économique.
Quoiqu’il en soi, nous disposons en Tunisie de nouveaux outils juridiques permettant d’opposer à l’Etat notre droit d’accès à l’information et aux données publiques, ce droit est prévu par un texte général et deux textes spéciaux.
Le texte général référence en matière d’Open Data en Tunisie est le Décret-loi n°41 du 26 mai 2011, relatif à l’accès aux documents administratifs des organismes publics tel que modifié et complété par le décret-loi n°54 du 11 juin 2011.
La version originale de ce décret-loi consacrait le droit d’accès aux documents publics au tunisien dans les deux années suivant la date de ce texte. Le même texte a été modifié deux semaines plus tard pour rendre directement exigible le droit du citoyen à l’accès aux documents publics, le délai de deux ans a, cependant, été maintenu non pas pour l’entrée en vigueur de ce texte mais pour permettre aux organismes publics de se mettre en parfaite harmonie et conformité avec les exigences de ce décret-loi tant sur le plan financier que sur les plans techniques et logistiques.
Ce décret-loi Open Data s’adresse à tout citoyen tunisien voulant accéder à une information ou à un document public créé ou tenu par un organisme public. L’efficacité de ce droit d’accès aux données publiques est renforcée et sanctionnée par une obligation à la charge de l’organisme public sollicité, il s’agit en effet d’une obligation de s’exécuter dans de brefs délais sous peines de poursuites disciplinaires à l’encontre de l’agent public ou du responsable concerné.
Les passages suivants résument quelques articles pertinents du décret-loi Open Data en Tunisie :
Art. 3 - Toute personne physique ou morale a le droit d'accéder aux documents administratifs tels que définis à l'article 2 du présent décret-loi, aussi bien par divulgation proactive que divulgation sur demande de l'intéressé, sous réserve des exceptions prévues par le présent décret-loi.
Art. 4 - Un organisme public doit, sous réserve des dispositions du présent décret-loi, publier régulièrement :
- toute information sur sa structure organisationnelle, les fonctions et tâches ainsi que ses politiques,
- les décisions importantes et politiques qui touchent le public,
- la procédure suivie lors du processus décisionnel et du processus de contrôle,
- un annuaire des employés et de leurs tâches,
- un annuaire regroupant les noms, coordonnées et autres informations pertinentes concernant les agents de l'information de l'organisme public concerné,
- les règlements et manuels détenus par l'organisme public concerné ou utilisés par ses employés pour l'exécution de leurs fonctions,
- le descriptif des services et programmes offerts au public et leurs bilans,
- des informations sur les programmes gouvernementaux y compris les indicateurs de performance et les résultats des appels d'offres publics importants,
- un descriptif des documents disponibles par voie électronique,
- un guide pour aider les usagers de l'administration dans la procédure de demande de documents administratifs,
- toute information sur sa structure organisationnelle, les fonctions et tâches ainsi que ses politiques,
- les décisions importantes et politiques qui touchent le public,
- la procédure suivie lors du processus décisionnel et du processus de contrôle,
- un annuaire des employés et de leurs tâches,
- un annuaire regroupant les noms, coordonnées et autres informations pertinentes concernant les agents de l'information de l'organisme public concerné,
- les règlements et manuels détenus par l'organisme public concerné ou utilisés par ses employés pour l'exécution de leurs fonctions,
- le descriptif des services et programmes offerts au public et leurs bilans,
- des informations sur les programmes gouvernementaux y compris les indicateurs de performance et les résultats des appels d'offres publics importants,
- un descriptif des documents disponibles par voie électronique,
- un guide pour aider les usagers de l'administration dans la procédure de demande de documents administratifs,
Art. 5 - L'organisme public compétent doit publier régulièrement :
- Les informations statistiques économiques et sociales y compris les comptes nationaux, les enquêtes statistiques désagrégés,
- Toute information sur les finances publiques y compris les informations macroéconomiques, les informations sur la dette publique et sur les actifs et les passifs de l'Etat, les prévisions et informations sur les dépenses à moyen terme, toute information sur l'évaluation des dépenses et de la gestion des finances publiques et les informations détaillées sur le budget, aux niveaux central, régional et local,
- Les informations disponibles sur les services et programmes sociaux.
- Les informations statistiques économiques et sociales y compris les comptes nationaux, les enquêtes statistiques désagrégés,
- Toute information sur les finances publiques y compris les informations macroéconomiques, les informations sur la dette publique et sur les actifs et les passifs de l'Etat, les prévisions et informations sur les dépenses à moyen terme, toute information sur l'évaluation des dépenses et de la gestion des finances publiques et les informations détaillées sur le budget, aux niveaux central, régional et local,
- Les informations disponibles sur les services et programmes sociaux.
Art. 6 - Les documents administratifs mentionnés aux articles 4 et 5 du présent décret-loi doivent être divulgués sous une forme facilement accessible au public, et si besoin est, mis à jour au moins une fois par an.
Art.16 (nouveau) - Un organisme public peut refuser de communiquer un document administratif protégé par la législation relative à la protection des données à caractère personnel et celle relative à la protection de la propriété littéraire et artistique, ou par une décision juridictionnelle ou quand il s'agit de document fourni à l'organisme public concerné à titre confidentiel.
Art. 17 - L'organisme public peut refuser de communiquer un document quand cela pourrait être préjudiciable :
- aux relations entre Etats ou organisations Internationales,
- à la formation ou au développement d'une politique gouvernementale efficace,
- à la sécurité ou la défense nationale,
- à la détection, prévention ou enquête criminelle,
- à l'arrestation et le procès en justice des accusés,
- à l'administration de la justice, au respect des règles de l'équité, et à la transparence des procédures de passation des marchés publics,
- au processus de délibération, d'échange d'avis et point de vue, d'examen ou d'essai, ou aux intérêts légitimes commerciaux ou financiers de l'organisme public concerné.
- aux relations entre Etats ou organisations Internationales,
- à la formation ou au développement d'une politique gouvernementale efficace,
- à la sécurité ou la défense nationale,
- à la détection, prévention ou enquête criminelle,
- à l'arrestation et le procès en justice des accusés,
- à l'administration de la justice, au respect des règles de l'équité, et à la transparence des procédures de passation des marchés publics,
- au processus de délibération, d'échange d'avis et point de vue, d'examen ou d'essai, ou aux intérêts légitimes commerciaux ou financiers de l'organisme public concerné.
Art. 18 - Les exceptions prévues à l'article 17 du présent décret-loi ne s'appliquent pas :
- aux documents tombant dans le domaine public sous réserve de la législation en vigueur et notamment la loi relative aux archives,
- aux documents dont la divulgation est nécessaire en vue d'exposer, d'enquêter ou de poursuivre de graves violations des droits de l'Homme ou crimes de guerre,
- lorsque l'intérêt public général l'emporte sur l'intérêt protégé, en raison d'une menace grave pour la santé, la sécurité ou l'environnement, du risque d'un acte criminel, de corruption ou de mauvaise gestion dans le secteur public. »
- aux documents tombant dans le domaine public sous réserve de la législation en vigueur et notamment la loi relative aux archives,
- aux documents dont la divulgation est nécessaire en vue d'exposer, d'enquêter ou de poursuivre de graves violations des droits de l'Homme ou crimes de guerre,
- lorsque l'intérêt public général l'emporte sur l'intérêt protégé, en raison d'une menace grave pour la santé, la sécurité ou l'environnement, du risque d'un acte criminel, de corruption ou de mauvaise gestion dans le secteur public. »
Par ailleurs, le droit d’accès aux documents administratifs est reconnu aussi, grâce à des textes spéciaux, à d’autres acteurs de la société civile à savoir les journalistes et les associations.
S’agissant des journalistes, le décret-loi n°115 du 2 novembre 2011 relatifà la liberté de presse reconnaît expressément au journaliste le droit de réclamer la communication des informations, des données et des statistiques détenues par les organismes publics tels que définis par l’article 2 du Décret-loi n°41 du 26 mai 2011, relatif à l’accès aux documents administratifs.
Toutefois, on se doit de reconnaître la légèreté substantielle du décret-loi n°115 relatif à la liberté de presse dans la mesure où il n’apporte au journaliste aucun privilège ou garantie par rapport au basique droit d’accès aux documents administratifs reconnu à tout citoyen alors qu’on était en droit de s’attendre à ce que ce décret-loi, n°115-2011, consacre des dispositions spéciales et avantageuses pour le journaliste en quête d’information.
Quant aux associations, le droit à l’obtention de l’information leur a été spécifiquement reconnu par l’article 5 du décret-loi n°88 du 24 septembre 2011 relatif aux associations. Le dit article ne vise pas expressément le libre accès aux données (OpenData) mais on est en droit de penser que le terme « information » couvre, par sa généralité évidente, toute sorte d’information et de donnée.
Cet arsenal naissant de textes juridiques relatifs au droit d’accès aux documents publics est loin d’être évident à mettre en œuvre en Tunisie sans l’avènement d’une révolution dans les mentalités car il ne faut pas perdre de vue la réalité du Système en Tunisie, un Système handicapé, d’une part, par de fâcheuses habitudes d’opacité et de non soumission à la loi de la part de l’administration tunisienne et par la passivité et l’insouciance de la majorité des tunisiens longtemps habitués au favoritisme et au détournement systématique des voies légales, d’autre part.
La transparence est un état d’esprit pratique.