La liberté d’expression de l’employé à l’épreuve des réseaux sociaux : état des lieux en jurisprudence



En droit tunisien, «  la faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de faire,  soit à faire ce dont on était tenu de s’abstenir… ». (Article 83 du Code des Obligations et des Contrats)

Appliquée au monde des relations de travail, le faute revêt une spécificité propre, tant sur le plan de son contenu que sur celui de ses conséquences juridiques. La faute de l’employé est sanctionnée par une mesure disciplinaire qui se doit d’être graduelle et proportionnelle à la gravité de la faute commise.

Le contenu variable de la faute ainsi que la différence du degré de gravité de la faute font qu’il existe toute une gamme de sanctions allant de l’avertissement jusqu’au licenciement qui ne devrait intervenir qu’en cas d’une Faute Grave qui rend la continuation de la relation de travail impossible pour l’employé ou bien pour l’employeur.
Etant donné le contenu variable et évolutif de la  notion de faute, son appréciation reste soumise au pouvoir discrétionnaire du juge qui lui donne un contenu propre dans chaque affaire tout en  motivant sa décision.

Selon l’article 14-4 du code du travail Tunisien, la faute grave  de l’employé constitue une cause  réelle et légitime de rupture du contrat de travail  par l’employeur.  La constatation de la matérialité de la faute incombe à la partie qui l’invoque c'est-à-dire l’employeur.
La faute de l’employé peut intervenir activement par commission ou passivement  par omission à travers des actes et/ou des paroles de nature à causer un tort ou un dommage à l’employeur.

Ce qui nous intéresse ici ce sont les récents cas de conflits de travail opposant des employeurs mécontents de certains de leurs employés qui se « lâchent » sur Internet et qui, tout usant de leur liberté d’expression, tiennent des propos écrits ou oraux injurieux, diffamatoires ou dommageables à l’encontre de leur employeur sur les réseaux sociaux.

          1)    Etat des lieux de la liberté d’expression de l’employé

La liberté d’expression, au-delà de sa reconnaissance évidente à tout citoyen, est reconnue à l’employé dans le cadre de son entreprise que ce soit directement ou par l’intermédiaire de ses représentants, à savoir, le délégué du personnel, les membres de la commission consultative de l’entreprise et les délégués syndicaux.

Le cadre légal de la liberté d’expression de l’employé en Tunisie ne permet pas expressément la possibilité d’exercer cette liberté en dehors de l’entreprise, en effet, la loi se limite à reconnaître et à règlementer le cadre institutionnel canalisant le dialogue social au sein de l’entreprise mais elle ne le reconnaît  jamais en dehors des locaux ou du cadre interne (physique ou virtuel) de celle-ci.

Dans ce cas, il semble évident que l’employé n’est pas en droit de formuler ses critiques envers les politiques de son entreprise ou sa hiérarchie en public, toute la question est alors de savoir quand est ce que le salarié bascule de la sphère privée de libre expression à la sphère publique là où des yeux et des oreilles vigilantes guettent ses moindres gestes et commentaires.
L’obligation de non divulgation du secret professionnel ainsi que les devoirs  légaux de réserve et de loyauté de l’employé envers son employeur semblent motiver implicitement l’absence d’une disposition légale en faveur de la reconnaissance d’un droit de critique opposable par l’employé à son employeur en dehors de la sphère privée que représente le cadre du travail.

De nos jours le caractère privé ou public d’une déclaration ou d’une opinion se trouve au cœur d’un débat passionnant alimenté par la prolifération des moyens de communication sur Internet et plus précisément les réseaux sociaux tel que Facebook, Twitter et autres. 

                                                                                                                        
          2)    Une jurisprudence tunisienne non encore fournie

La jurisprudence tunisienne se rapportant à ce phénomène est soit non encore fournie soit non encore publiée pour que l’on puisse l’étudier. L’absence de jurisprudence en la matière en Tunisie s’explique par le caractère récent de ce genre de procès et par la stratégie de défense choisie par les  entreprises privées ou étatiques « victimes » de diffamation sur les réseaux sociaux.
 La majorité des employeurs se tourne souvent vers le juge des référés (القاضي الإستعجالي)  en requérant, à tort, le filtrage ou la suppression des prétendues vidéos ou pages « Facebook »  diffamatoires et  animées ou administrées directement ou indirectement par leurs employés.

Les employeurs cherchent à stopper le dommage causé par les propos des employés dans les plus brefs délais et c’est ce qui les pousse à aborder le problème sous l’angle de la censure ou le filtrage des pages sur le Web alors qu’il est question d’un simple conflit opposant un employeur à son employé dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.
Les tribunaux tunisiens n’ont pas opté  pour le filtrage de ces  pages arguées de diffamation et de propos injurieux compte tenu des spécificités de ces procès  intentés en référé qui ne pouvaient, raisonnablement, pas aboutir à cause de l’irrecevabilité évidente  des demandes, en référés, soumises aux tribunaux.

Si les tribunaux tunisiens auront à trancher sur un différend impliquant l’appréciation du caractère abusif ou diffamatoire des propos tenus, sur les réseaux sociaux, par un employé à l’égard de son employeur, il n’est pas surprenant de voir les juges opter pour une tendance conservatrice et défavorable à l’égard de l’idée que l’employé puisse bénéficier d’une liberté d’expression en dehors du cadre restreint de l’entreprise compte tenu du pesant héritage socio-politique tunisien en matière de liberté d’expression en général.

Ce qu’il faut retenir lors de l’appréciation de l’excès dans les propos de l’employé :

  • Le fait qu’il soit lié ou non par une clause spéciale lui interdisant l’idée même de critiquer son employeur en dehors de l’entreprise. (contrat de travail, règlement interne de l’entreprise …)
  •  La fausseté ou la véracité des propos tenus par l’employé et sa capacité à prouver ses allégations.
  •  Le degré de publicité pouvant accompagner la publication des propos de l’employé et notamment le choix des paramètres de confidentialité et de publication de l’employé en ce qui concerne son compte sur le réseau social utilisé : Facebook, Twitter… etc.
  • Le cadre privé ou public du support de publication des propos en question (profil accessible au public, page secrète, groupe privé de discussion …) 
  • La fonction occupée par l’employé au sein de l’entreprise : plus il est gradé plus l’impact de ses propos est grand.
  • La nature des propos tenus par l’employé : divulgation de secret professionnel, divulgation d’informations ayant trait à la vie privée de son supérieur hiérarchique …
Une fois les propos constatés et qualifiés d’abusifs, le juge se doit, dans le cadre d’un procès pour licenciement, d’apprécier si la relation de travail pourrait  raisonnablement continuer malgré l’incident créé par les propos de l’employé.

Contrairement à l’absence de jurisprudence en Tunisie en rapport avec les conflits de travail impliquant l’exercice la liberté d’expression par l’employé sur les réseaux sociaux, on note  l’existence d’une certaine jurisprudence française en la matière mais elle ne semble pas assez constante et cohérente compte tenu de la nouveauté du problème et de la différence de perception et d’appréciation d’un juge à l’autre.


     3)    Topo sur une  jurisprudence comparée abondante

      ·     La première affaire qui fait le buzz en France est bien entendu celle qui a été jugé par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne Billancourt le 19 novembre 2010. Le tribunal en question avait validé le licenciement pour faute grave des salariées qui avaient créé un groupe sur Facebook visant à dénigrer leur supérieure hiérarchique. 
Tout a commencé un samedi soir de décembre 2008, l'un des trois salariés en question aurait critiqué sur Facebook sa hiérarchie et la direction des ressources humaines, prétendant qu’elle faire partie "du club des néfastes". Ses deux collègues lui ont juste répondu : "Bienvenue au club". 
Heureusement, un collègue salarié, "ami Facebook" des trois autres, avait fait une copie d'écran de la discussion avant de rapporter les propos de ses collègues à la direction de l’entreprise. Cette dernière avait décidé alors de licencier les trois salariés pour « incitation à la rébellion et dénigrement.».

Ce jugement du Conseil de Prud’hommes de Boulogne Billancourt a été infirmé par la Cour d’Appel de Versailles qui a jugé dans son arrêt qu’ « une même faute ne peut faire l’objet de deux sanctions successives » et qu’en l’espèce, les deux salariées avaient déjà fait l’objet d’une « mise à pied disciplinaire ».
La Cour d’appel a estimé que les licenciements étaient sans cause réelles et sérieuses sur la base de considérations procédurales sans se prononcer, malheureusement, sur le fait que les deux salariées avaient été licenciées pour des propos dénigrant leur hiérarchie sur Facebook.

·         Dans une autre affaire jugée le 16 décembre 2011, la Cour d’Appel de Douai avait infirmé à son tour un jugement de première instance ayant validé la rupture d’un contrat d’embauche future pour cause de diffamation.
Résumé de l’affaire : « En août 2009, Romain Dupré, animateur à la radio Contact FM, située à Tourcoing (Nord) s’était vu délivrer une promesse d’embauche pour un contrat à durée déterminée pour la saison 2009-2010, à la suite d’un premier contrat de ce type, selon son avocat Me Jacques Djian.
Sur le « mur » de sa page Facebook privée – l’animateur ayant par ailleurs une page publique à destination de ses fans – M. Dupré avait qualifié sa direction de « belles balletringues anti-professionnelles » après avoir appris qu’un autre salarié n’était pas reconduit.
L’employeur, qui avait eu connaissance de ces propos, avait retiré sa promesse d’embauche de l’animateur, qui avait saisi les prud’hommes de Tourcoing.
En première instance, M. Dupré avait été débouté, le conseil de prud’hommes ayant estimé que « la rétractation (…) de cette promesse d’embauche est justifiée du fait des injures et menaces proférées à l’encontre de sa direction par M. Romain Dupré, sur le réseau Facebook », rappelle la cour d’appel de Douai dans sa décision.
Le 16 décembre 2011, la cour a estimé dans son arrêt que « des propos diffamatoires ou injurieux tenus par un salarié à l’encontre de l’employeur ne constituant pas un événement irrésistible ou insurmontable faisant obstacle à la poursuite du contrat, cette rupture ne procède pas non plus d’un cas de force majeure ».
« Faute pour l’employeur d’avoir allégué un des motifs de résiliation prévus à l’article L. 1243-1 du Code du travail (selon lequel un CDD ne peut être rompu (…) qu’en cas de faute grave ou de force majeure, NDLR), il convient de dire que la rupture du contrat est abusive », a estimé la cour, qui a condamné l’employeur à verser 17.160 euros de dommages et intérêts. »
·         Dans autre affaire jugée le 25 novembre 2011, la Cour d’Appel de Rouen avait annulé le licenciement d’une caissière par son employeur pour des propos calomnieux, car aucune preuve ne pouvait laisser penser que son compte Facebook était accessible à un large public. La Cour a eu l’occasion de se prononcer sur le caractère privé/public de l’expression sur Facebook en considérant qu’ : «  il ne peut être affirmé de manière absolue que la jurisprudence actuelle nie à Facebook le caractère d’espace privé, alors que ce réseau peut constituer soit un espace privé, soit un espace public, en fonction des paramétrages effectuées par son utilisateur ». 

·         Contrairement à cette tendance libérale à la française, un tribunal Britannique a  validé le licenciement d’un employé de Apple au motif qu’il a osé critiquer la politique de cette firme.
Résumé de l’affaire sur Numerama : « Bien qu'ayant opté pour des réglages Facebook lui permettant de rendre son profil uniquement accessible à ses contacts, l'ancien employé n'a pas pu s'appuyer sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme relative au droit au respect de la vie privée et familiale et reprise dans l'Human Rights Act britannique de 1998, explique  People Management.

Le tribunal a en effet considéré qu'il n'y avait rien dans les faits pour empêcher l'un de ses contacts de copier les messages hostiles à Apple et à ses produits, et cela malgré le paramétrage du compte. Sur le terrain de la liberté d'expression, abordé dans l'article 10 de la Convention, Apple a réussi à convaincre le tribunal qu'il était tout à fait justifié et proportionné de limiter ce droit afin de protéger sa réputation commerciale contre les messages potentiellement dommageables.

Les juges ont relevé que la firme de Cupertino a mis en place une politique très claire en matière de réseaux sociaux et de sites communautaires à l'égard de ses employés. Dans ce cadre, ces derniers sont soumis à certaines règles et les critiques sur la marque ou sur les produits sont strictement interdites, sous peine de lourdes sanctions. En effet, de pareils commentaires sont particulièrement dommageables pour Apple, dans la mesure où son image de marque est au cœur de son succès commercial ».

·         Dans le même sens de la condamnation, le Tribunal correctionnel de Paris, par une décision du 17 janvier 2012, a reconnu coupable d’injures publiques, un employé délégué syndical (CGT) pour des propos tenus envers son employeur sur le mûr Facebook  du syndicat.
Même si l’on pouvait expliquer l’agressivité des propos par une réaction à chaud du syndicaliste suite au suicide d’un salarié de la même entreprise, le Tribunal a tout de même considéré que les « expressions utilisées excédaient les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical par l’utilisation de mots ou de termes insultants ou injurieux voire vexatoire ».
 " Les expressions incriminées excèdent les limites de la critique admissible, y compris lorsqu'elle s'exerce dans un cadre syndical ", a jugé le tribunal.

·         En Belgique, Le Tribunal du travail de Louvain, par sa décision du 17 novembre 2011,  a validé le licenciement pour faute grave d’un employé qui avait posté régulièrement des critiques sur les mauvais résultats de sa société, cotée en bourse. N’importe quel utilisateur du réseau social Facebook pouvait avoir accès aux commentaires considérés comme publics par le juge.
La faute grave a été retenue contre l’employé au motif qu’il occupait un poste de manager, un poste à responsabilité qui rend les débordements répétés de ce dernier inappropriés et suffisamment grave pour justifier un licenciement. 
·         Dans une décision rendue le 4 mars 2010 par  la Cour de travail de Bruxelles, il a été jugé que les propos irrespectueux postés par l’employé envers sa direction dans un groupe de discussion sur Facebook n’avaient bénéficié que d’un degré de publicité très restreint. La Cour a estimé que le comportement n’était pas suffisamment grave pour justifier un licenciement. 
·         Dans une autre affaire jugée par le Tribunal du travail de Namur (Belgique) le 10 janvier 2011, malgré le caractère public et raciste  des propos  tenus sur Facebook par une employée envers ses collègues de travail, le tribunal a estimé que la faute n’était pas suffisamment grave pour motiver le licenciement de l’employée. 

·         Dans une autre affaire non encore soumise aux tribunaux, le journaliste spécialiste du Rugby Pierre Solviac avait le 9 mai 2012 un tweet jugé injurieux sur le réseau social Twitter, à l’égard de Valérie Trierweiler, journaliste politique et compagne de François Hollande. Le tweet en question consistait en ces passages suivants : « A toutes mes consœurs, baisez utile, vous avez une chance de vous retrouver première Dame de France. »
La journaliste concernée par le tweet n’a pas porté plainte mais la direction de RTL a jugé le tweet en question intolérable en ces termes : « dans le cadre d’un message publié sur Twitter, Pierre Salviac a tenu au sujet de ses consœurs journalistes des propos intolérables et totalement inacceptables qui n’engagent que lui et que RTL condamne sans aucune réserve. Pierre Salviac était jusqu’à ce jour un collaborateur occasionnel de RTL parmi d’autres médias. A compter de ce jour, RTL met un terme à toute forme de collaboration avec Pierre Salviac  ».

Dans ce cas, le journaliste Pierre Solviac a été licencié sur la base de propos qui ne rentrent pas dans le cadre de l’exécution de la relation travail qui le liait à RTL car il n’a pas tweeté en sa qualité professionnelle mais en son nom propre et dans le cadre de l’exercice de sa liberté d’expression sur un réseau social.

·         Dans un arrêt rendu sur pourvoi n°08-41241 du 18 novembre 2009, la chambre sociale de la Cour de Cassation française (chambre spécialisée dans les conflits de travail) avait cassé l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait retenu que les propos d’une salariée dépassaient « largement la liberté d'expression reconnue à tout salarié au sein de l'entreprise ».
Les propos en question étaient ceux d’une salariée de Volkswagen qui  avait diffusé dans l'entreprise et en dehors de celle-ci deux courriers électroniques, le 1er indiquant : «Je fais partie de la famille GVF depuis 21 ans.(...) Je suis reconnue travailleur handicap visuel et pense avoir subi, durant deux ans, un harcèlement de mon supérieur N+1 qui me fixait des quotas sur ce que je ne voyais pas. Croyez-moi deux ans d'enfer quotidien, c'est très long (...) Je sais, j'ai dénoncé des cadres et j'en paie aujourd'hui le prix fort (...). Mais sachez toutes et tous que pour moi j'ai gagné mon combat car j'ai gardé ma dignité humaine ». Et un 2ème courrier : «Rebonjour, Je vous apporte une précision. Je quitte momentanément la société pour des raisons médicales et ne démissionne en aucun cas».

La chambre sociale de la Cour de Cassation avait cassé l’arrêt de la cour d’appel au motif « qu'en la circonstance, le comportement isolé de la salariée, travailleur handicapé, qui justifiait d'une ancienneté de vingt années, n'était pas de nature, à lui seul, à rendre impossible son maintien dans l'entreprise ».
La question de la liberté d’expression de l’employé n’a pas vu le jour avec la prolifération de l’usage des réseaux sociaux, en effet, il existe une jurisprudence française assez stable concernant la liberté d’expression de l’employé dans le cadre restreint de l’entreprise.
4)    Confirmation de la liberté d’expression de l’employé au sein de l’entreprise
  On peut citer à titre d’exemple trois arrêts de la chambre sociale de la Cour de Cassation française allant dans le sens de la reconnaissance du droit à libre expression du salarié, par courriers électroniques diffusés au sein de l’entreprise, tant qu’il n’a pas été établi que les propos utilisés étaient abusifs, injurieux et faux.

·         Par arrêt rendu sur pourvoi n°08-42806 du 9 novembre 2009, la chambre sociale de la Cour de Cassation avait reconnu le caractère licite de la diffusion de courriers à diverses autorités départementales et professionnelles par un psychiatre salarié d’une association s'occupant de personnes handicapées, et qui « dénonçait une mise à l'écart dangereuse de la dimension psychiatrique de l'accompagnement des résidents » de l'établissement où il travaillait, citant notamment le licenciement d'une infirmière, la disparition inexpliquée d'un chef de service et le décès récent par suicide de deux résidents.

Selon la Chambre sociale, le seul fait pour l'intéressé d'alerter les autorités de tutelle et les délégués du personnel sur les difficultés rencontrées dans l'exercice de sa profession, par une lettre qui ne contenait pas de termes injurieux, excessifs ou diffamatoires, "n'était pas constitutif d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression reconnue à tout salarié ».
·         Dans une autre affaire jugée par la même chambre le 9 novembre 2009 (pourvoi n°41927), la Cour a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait reconnu excessive la réponse d’un salarié aux griefs qui lui étaient imputés.
L’abus de la liberté d’expression n’étant pas caractérisé, la Cour de Cassation avait décidé que « le salarié n'avait fait que répondre aux reproches injustifiés ou erronés que le directeur d'exploitation lui avait adressés sur un court espace de temps (...) la diffusion de cette lettre dans laquelle il critique son supérieur en des termes vifs, mais dont la fausseté n'était pas établie, a été limitée à l'entreprise ». Autrement dit, si la diffusion des critiques n’était pas limitée au cadre restreint de l’entreprise, la réponse de la Cour de Cassation aurait été tout autre.

·      Et enfin dans une affaire, d’envoi de courriels par un directeur commercial  critiquant la gestion du président du groupe, jugée par la chambre sociale de la Cour de Cassation française le 2 décembre 2009 (pourvoi n°43331), la Cour avait décidé que «les messages adressés par le salarié à la direction générale du groupe répondaient à des critiques injustifiées du travail de ses subordonnés, (...) ni l'envoi de ces messages, dont [ la Cour d'appel] a fait ressortir qu'ils ne contenaient aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif, ni la révélation par l'intéressé à ses collaborateurs de la teneur des messages échangés ne constituaient une faute grave ».

De l’appréciation des limites raisonnables de la liberté d’expression résultent le plus souvent des divergences de points de vues, de même  pour l’appréciation du caractère privé ou public de l’espace dans le quel l’employé s’est exprimé. Face à la touche de subjectivité inhérente à toute entreprise d’appréciation d’un comportement humain, le juge se doit de faire, constamment,  appel au secours précieux de la mesure et du bon sens.

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