L'état d'urgence en Tunisie : analyse juridique

 L'état de d'urgence a été décrété en Tunisie depuis le lendemain de la fuite du président en fuite puis déchu zine el abidine ben ali, et ce en vertu du décret n°184 du 15 janvier 2011, ce décret n'a été publié que le 1er mars 2011 (JORT n°13, p. 202) soit un mois et demi après son entrée en vigueur immédiate le 15 janvier 2011. (voir le texte intégral plus bas)

Un décret présidentiel doit toujours mentionner ses visas à travers la citation classique "Vu" : " Vu, la constitution, Vu la loi n° ...., le président de la république décrète : .... "
L'instauration de l'état d'urgence est une mesure extrême reconnue par la constitution du 1er juin 1959 (suspendue par le décret-loi n°14 du 23 mars 2011 : http://ostez.blogspot.com/2011/03/14-2011-23-2011.html )  au président sur la base des articles 41 et 46  de la dite constitution.
Ces deux articles devaient servir de base constitutionnelle pour la décision d'instauration de l'état d'urgence  et non pas seulement le décret n°78-50 du 26 janvier 1978. réglementant l'état d'urgence.
Ci après les articles 41 et 46 de la constitution tunisienne du 1er juin 1959 :

Article 41 : " Le Président de la République est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect de la Constitution et des lois ainsi que de l'exécution des traités. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels et assure la continuité de l'Etat ".

Article 46 : " En cas de péril imminent menaçant les institutions de la République, la sécurité et l'indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures exceptionnelles nécessitées par les circonstances, après consultation du Premier ministre et du président de la Chambre des députés " et du président de la Chambre des conseillers ".
Il adresse à ce sujet un message au peuple.
 

Pendant cette période, le Président de la République ne peut dissoudre la Chambre des députés et il ne peut être présenté de motion de censure contre le Gouvernement.
Ces mesures cessent d'avoir effet dès qu'auront pris fin les circonstances qui les ont engendrées. Le Président de la République adresse un message à la Chambre des députés " et à la Chambre des conseillers " à ce sujet.


Le décret n°184-2011 du 15 janvier 2011 ne laisse en aucun cas entendre que le premier ministre et le parlement aient été consultés par le président de la république  si jamais ce dernier avait pris la décision d'instaurer l'état d'urgence sur la base de l'article 46, seul fondement constitutionnel pouvant légitimer la prise d'une telle décision exceptionnelle par le président conformément à la constitution du 1er juin 1959 alors en vigueur.

Après son instauration en date 15 janvier 2011, l'état d'urgence a été prorogé en vertu du décret n°185 du 14 février 2011 publié à son tour au JORT du 1er mars 2011 (voir le texte intégral plus bas). La même remarque sur l'absence de la mention du visa constitutionnel de ce décret est valable aussi pour ce décret fixant la date limite de l'état d'urgence au 31 juillet 2011.


Point juridique important :  la publication tardive au JORT du décret n°184 du 15 janvier 2011 en date du 1er mars 2011 pose un problème crucial de légalité. On sait que la violation de l’état d’urgence est un délit passible de prison et que plusieurs personnes arrêtées lors du sit-in de la kasba 1 et 2 et dans d’autres manifestations ont été poursuivies entre autre sur la base du chef d’inculpation précité, c’est à dire la violation de l’état d’urgence.


Or comment peut-on poursuivre les gens sur la base de la violation d’un état d’urgence qui n’est pas rendu officiel car sa publication légale au JORT faisait défaut entre le 15 janvier et le 1er mars 2011. Le déclenchement de toute poursuite sur la base de la violation de l’état d’urgence devrait reposer sur une pièce maîtresse à savoir le texte du décret instaurant l’état d’urgence, c’est un préalable à la poursuite.


Apparemment l’ex premier ministre Mohamed Ghannouchi et le président par intérim M. Fouad Mbazaa n’avaient pas le temps de penser à ce « détail juridique insignifiant » à l’époque. Avec l’arrivée de M. BEJI CAEID ESSEBSI à la tête du gouvernement en qualité de premier ministre, le manquement à la légalité a été corrigé par la publication du décret instaurant l’état d’urgence.


Désormais, la police est manifestement plus à l’aise maintenant du point de vue légal car elle peut en toute circonstance de troubles arrêter les gens sur la base de la violation de l’état d’urgence, les personnes arrêtées pendant le sit-in de la kasba 3 du 15 juillet 2011 en sont la preuve. La violation de l’état d’urgence était l’un des chefs d’inculpations alors qu’elle ne l’était pas assez énergique lors des poursuites des manifestants des sit-in kasba 1 et 2.

Par ailleurs, et avant l'arrivée à terme de la période de l'état d'urgence, le président par intérim devenu temporaire décrète un nouveau décret n°999 en date du 21 juillet 2011 par lequel il déclare l'état d'urgence. ( JORT n°54 du 22 juillet 2011, p. 1270. voir texte intégral plus bas)

Raisonnablement, on ne voit pas de motif pouvant fonder la déclaration de l'état d'urgence de la sorte alors qu'il suffisait de proroger l'ancien décret qui l'a instauré depuis le 15 janvier 2011 (décret n°184-2011). 

Déclarer à nouveau l'état d'urgence alors qu'il est effectivement et toujours en vigueur me laisse perplexe. Je veux bien croire à l'idée qu'il s'agissait d'une maladresse lors de la rédaction du décret, sinon je ne vois pas d'explication juridique plausible pour fonder la formule utilisée au sein de ce décret.

On note enfin que le nouveau décret n°999-2011 du 21 juillet 2011 ne se prononce pas sur la portée de l'état d'urgence dans le temps et ce contrairement à l'actuel décret n°185-2011 encore en vigueur jusqu'au 31 juillet 2011. 

Désormais, la Tunisie demeurera jusqu'à un nouvel ordre, sous le régime exceptionnel et suspensif de la majorité des libertés publiques, à savoir l'état d'urgence ... ça sent un peu l'uniforme ça mais on dira que cet état d'urgence prendra fin dès que les raisons ayant poussé à l'instaurer cesseront d'exister à savoir : le désordre, les miliciens non encore identifiés, les snipers furtifs, les sit-in arbitraires, les prisons à portes ouvertes, la cassure entre le citoyen avec un grand " C " et la police, l'état sécuritaire à la frontière libyenne ... mais heureusement que tout ça cessera avec la mise en place d'un nouveau gouvernement légitime issu des élections de l'assemblée constituante prévues pour le 23 octobre 2011. 

Après le 23 octobre, l'état d'urgence ne devra plus demeurer en vigueur, mais il faudra d'abord s'accorder sur un gouvernement représentatif et soutenu par la majorité silencieuse ou autre.


One Response to L'état d'urgence en Tunisie : analyse juridique

  1. Sana says:

    Bonjour
    je souhaiterai discuter avec vous de cet article.
    Pouvez vous me joindre via facebook : sana sbouai
    Merci

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