Le décret n°4506-2013 relatif à la création de l’Agence Technique des Télécommunications (ATT) : un raté de trop

Nom et prénom : l’agence technique des    télécommunications.                             
Sexe : établissement public à caractère administratif.
Date de naissance : 6 novembre 2013.
Acte de naissance : décret °4506-2013 Journal Officiel n°90 du 12 novembre 2013.
Lieu de naissance : Palais du Gouvernement à la Kasba.
Nom du père : raison d’Etat.
Nom de la mère : inconnu.
Tuteur légal : Ministère des technologies de l’information et de la communication.
Profession : voyeurisme.
Financement : Public.
Adresse : Rue de l’intimité.
Surnom : Ammar 404.

                                                        Résumé en langue arabe

                                                        Requête de recours pour excès de pouvoir (en langue arabe) 

Instituée par le décret n°4506-2013 du 6 novembre 2013, l'agence technique des télécommunications « ATT » constitue, de part son organisation, fonctionnement  et ses attributions atypiques, une nouvelle catégorie d’établissements publics administratifs (EPA). En tant qu’entité publique, elle soulève des interrogations à tous les niveaux, qu’ils soient formels, organiques, techniques ou juridiques.

Selon l’article 2 du décret n°4506-2013, « L'agence technique des télécommunications assure l'appui technique aux investigations judiciaires dans les crimes des systèmes d'information et de la communication, elle est à cet effet chargée des missions suivantes: 

Ø  la réception et le traitement des ordres d'investigation et de constatation des crimes des systèmes d'information et de la communication issus du pouvoir judiciaire conformément à la législation en vigueur.
Ø  ….
Ø  ….. ». 

L’analyse des dispositions du paragraphe 2 de cet article permet de soulever une batterie d’irrégularités juridiques tenant à l’inconstitutionnalité et à l’illégalité du rôle à jouer par l’ATT, à savoir l’appui technique aux investigations ordonnées par le pouvoir judiciaire, dans les crimes des systèmes d'information et de la communication.

         I)           Remarques préliminaires :

 · La création de l’ATT par décret, sous la forme d’un EPA, est une compétence exclusive reconnue au président du gouvernement conformément à l’article 17 de l’organisation provisoire des pouvoirs publics (OPPP). Si L’ATT était conçue sous le règne de la Constitution Tunisienne de juin 1959, elle aurait, nécessairement, fait l’objet d’une loi.

L’exigence de l’intervention d’une loi pour la création d’une nouvelle catégorie d’établissement public était conçue, notamment, pour garantir un seuil de règles standards communes aux établissements publics, appartenant à la même catégorie, afin de rationaliser l’action de l’administration publique.
En l’absence de tout encadrement législatif préalable, le transfert de cette compétence exclusive au profit du pouvoir exécutif, a fini par démontrer son inadéquation à travers la création d’une ATT souillée d’irrégularités, à tous les niveaux.

·   Par ailleurs, le décret n°4506-2013 précise explicitement que l’ATT reçoit et traite les ordres d’investigation émanant du pouvoir judiciaire, ceci sans faire allusion au Tribunal Administratif. Cette limitation est non seulement inconcevable, mais aussi illégale, puisque la loi organique n°40-1972, relative au Tribunal Administratif, prime sur le décret relatif à l’ATT  dans la hiérarchie des normes juridiques.

Ainsi, le président du gouvernement a violé la loi lorsqu’il s’est permis, par décret, de limiter le champ d’intervention et les pouvoirs d’investigation du Tribunal Administratif, alors que ce tribunal détient ses pouvoirs d’investigation et d’enquête d’une loi organique (n°40-1972), à laquelle le décret relatif à l’ATT devrait se conformer.

·         Aussi, il y a lieu de dénoncer la passivité du conseil des ministres et du président de la république, l’un pour avoir accepté ce texte sans objections lors de ses délibérations, et l’autre pour avoir observé un silence radio à son sujet.
Le passage en force du décret instituant l’ATT, dans sa dangereuse configuration actuelle, était censé réanimer le réflexe du militant chez le président de la république et quelques ministres, qui ont fait de la défense des libertés fondamentales, par le passé, un vrai fonds de commerce.


II )  Sur le fond :


A)  Les manifestations de l’inconstitutionnalité

Les causes d’inconstitutionnalité, que soulève le décret instituant l’ATT, tiennent à la violation de la constitution, la violation de principes constitutionnels ainsi que la violation du droit international.

1)   Inconstitutionnalité tenant au vice d’incompétence : violation du principe de la séparation des pouvoirs

En principe, le juge s’adresse au justiciable, lors d’un procès, en ces termes : « donne-moi le fait, je te donnerai le droit ». La portée de cet adage se trouve largement atténuée lors d’une poursuite pénale qui, de part la nature inquisitoire de ses procédures, amène le juge pénal à jouer un rôle beaucoup plus actif dans la quête de la vérité judiciaire, à travers la recherche des preuves et l’établissement des faits.

C’est précisément dans ce contexte que le juge tunisien sera appelé à solliciter les services de l’ATT qui, en poursuivant sa mission de support technique aux enquêtes judiciaires, assurera la  « réception et le traitement des ordres d'investigation et de constatation de ces crimes des systèmes d'information et de la communication, issus du pouvoir judiciaire conformément à la législation en vigueur » selon l’article 2 du décret n°4506-2013.

La terminologie utilisée est manifestement imprécise et étrangère au langage d’usage. Selon le texte,  l’ATT est chargée du « traitement » des ordres d’investigation, le choix de ce vocable  est juridiquement impertinent et maladroit, car l’ATT est appelée à s’exécuter et non pas à  traiter. De même, l’emploi du vocable « crimes » est absurde puisqu’on ne peut pas savoir si le texte vise le sens général du "crime" en tant qu'infraction pénale dans l’absolu ou son sens technique qui désigne la catégorie des infractions pénales graves, sanctionnées par une peine de plus de 5 ans d'emprisonnement.

Concrètement, l’ATT opère sur un terrain traditionnellement réservé aux officiers de police judiciaire, puisqu'on lui a délégué la mission de constater les crimes et de mener l'investigation sur le plan technique.

En quoi ce recours procédural à l’ATT, pour des considérations techniques, dérange tant une fraction des Tunisiens ? Après tout, le  juge réclame souvent la constatation des faits aux officiers de la police judiciaire et à une certaine catégorie de fonctionnaires publics. En quoi l’intervention de l’ATT dans le procès gêne ? 

 La constatation des faits, des crimes et la collecte des éléments de preuve sont à la charge d’officiers publics spécialement mandatés et visés dans la loi, tel un officier de la police judiciaire ou un juge d’instruction lors d’un procès pénal.

Or, en habilitant l’ATT à constater un crime, on lui confie nécessairement l’exécution d’un acte procédural juridictionnel, un acte qui engendre de très lourdes conséquences juridiques, puisqu’il pourra servir de base matérielle à une condamnation criminelle.

L’intervention des agents de l’ATT, dans l’exécution d’une procédure juridictionnelle, serait conforme au droit Tunisien sur le plan théorique, s’ils étaient habilités à cette mission par un texte de loi, car les textes régissant les procédures devant les tribunaux doivent obligatoirement prendre la forme d’une loi, selon la lettre de l’article 6 alinéa 2 tiré 3 de l’OPPP.

 Cette compétence reconnue au pouvoir législatif, depuis la constitution Tunisienne du 1er  juin 1959, a toujours fait partie du système juridique Tunisien, elle ne fait que confirmer le principe de la légalité des peines et les garanties constitutionnelles et conventionnelles du procès équitable.

Ainsi, et empiétant sur la compétence du pouvoir législatif, le décret n°4506-2013 relatif à l’ATT encoure l’annulation pour inconstitutionnalité tenant à la violation du principe de la séparation des pouvoirs et usurpation d'une compétence qui relève expressément du domaine de loi. .


2)   Inconstitutionnalité tenant à la violation des droits de la défense : violation d’un principe fondamental à valeur constitutionnelle

Le fait de prévoir, par décret, le passage par les services techniques de l’ATT pour constater les crimes des télécommunications, constitue une violation manifeste des droits légitimes du prévenu pour les raisons suivantes :

Ø  Le prévenu est privé de l’exercice de son droit sacré à la défense devant cette agence, il ne peut pas assister ni être représenté au moment du constat pour vérifier la matérialité des faits pouvant être relevés par l’ATT.

Ø  Le prévenu n’est pas en mesure de vérifier ni de savoir, à l’avance ou au moment du constat, quels sont les procédés utilisés par l’agence pour pouvoir apprécier leur adéquation, proportionnalité ou conformité aux standards techniques requis.
Ø  Le prévenu n’est pas admis à prendre connaissance de l’identité des agents de l’ATT en charge du dossier, il ne peut pas donc vérifier, le jour de l’établissement du constat, leur habilitation légale et leurs qualifications professionnelle et  techniques pour constater le crime en question. Ainsi, il sera privé de formuler toute réserve ou récusation à l’encontre des agents en question.

Ø  En l’absence d’un mode technique et procédural connu à l’avance, le prévenu, le juge ainsi que l’expert judiciaire ne peuvent, utilement, opérer un contrôle a postériori sur l’exactitude du résultat final « attesté » par l’ATT.

Ø  La lecture du PV de constat ne sera donnée, séance tenante, devant le prévenu et a fortiori il ne sera pas paraphé par sa signature.

Le décret instituant l’ATT renferme, et de très loin, moins de garanties d’impartialité, de probité et de transparence que tous les textes de lois visés dans son préambule. Pratiquement, ce décret affranchi les agents de l’ATT du seuil minimal des droits de la défense à respecter, alors que les textes de loi imposent, sous peine de nullité, aux officiers de la police judiciaire l’observation de formalités et de garanties concrètes à l’occasion des constats et des investigations.

Ces quelques restrictions injustifiées constituent une violation manifeste de droits ayant une valeur constitutionnelle, à savoir, les droits de la défense.


3)   Violation du principe de la légalité des peines et des délits : violation d’un principe fondamental à valeur constitutionnelle

Le principe fondamental de la légalité des peines et des délits fait que nul ne peut être poursuivi ou condamné pour un crime ou un délit, sans que le fait qui lui est reproché soit antérieurement  et explicitement prévu et incriminé, en tant que tel, par un texte de loi. En effet, la loi pénale se doit, sous peine d’inconstitutionnalité, d’être claire, explicite et précise, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est d’interprétation restrictive, et qu’en cas d’incertitude, on accorde au suspect le bénéfice du doute.

Appliquées au décret n°4506-2013 relatif à l’ATT, ces garanties constitutionnelles ne semblent pas inspirer les auteurs de ce texte. En effet, l’article 2 du décret en question, vise la catégorie des « crimes des systèmes d'information et de la communication » sans qu’il y ait, au préalable, une loi qui, en utilisation cette terminologie, donne un sens et un contenu propre à ces crimes.
Certes, il existe en droit tunisien des textes incriminant divers actes perpétrés dans les secteurs de l’information (Décret-loi n°115-2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l'édition / Code Pénal) et de la communication (Codes des télécommunications / Code Pénal / Code de la Poste …), mais aucune de ces lois éparpillées n’a jamais utilisé les qualificatifs de crimes des systèmes d'information et de la communication.
Tels qu’évoqués dans le décret n°4506-2013, les crimes des systèmes d'information et de la communication ne renvoient à aucun corps de textes cohérents et homogènes, permettant de cerner cette catégorie de crimes, jusque là doublement indéfinis sur les plans matériel et terminologique. De ce fait, l’ATT ne pourra, légalement, constater des crimes dont la terminologie est imprécise et sans contours.

Ainsi, tant que la détermination des crimes et des délits demeure du ressort du pouvoir législatif, le président du gouvernement agissant par voie du décret 4506-2013, avait violé le principe de la séparation des pouvoirs dans la mesure où il a empiété sur la compétence du pouvoir législatif, lequel est, le seul habilité à déterminer les délits et leurs peines respectives.

Les vices d’incompétence et d’inconstitutionnalité, tirés de l’atteinte frontale à un principe aussi intouchable que celui de la légalité des peines et des délits, sont assez graves pour que l’on  puisse qualifier le décret relatif à l’ATT d’acte dénaturé et inexistant. C’est la qualification retenue en droit pour désigner l’acte administratif ou gouvernemental qui plonge dans l’illégalité au point d’être réputé ne jamais exister dans l’ordre juridique de l’Etat.


4)   Inconstitutionnalité tenant à la violation du Pacte sur les droits civils et politiques signé à New York en 1966 : violation du droit international

Bien que l’OPPP a manqué de confirmer la valeur supra-légale et infra-constitutionnelle des conventions internationales ratifiées par l’Etat Tunisien, la supériorité des traités et des conventions par rapport aux lois internes ne fait aucun doute en Tunisie, et demeure une règle à valeur constitutionnelle.

Dans le cas de l’ATT, on est en droit de s’interroger sur la légalité des compétences qui lui sont reconnues par simple décret, par rapport aux engagements de l’Etat Tunisien en vertu du PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES, signé à New York  en 1966 et ratifié par la Tunisie en date du 18 mars 1969.

Les dispositions qui nous intéressent dans ce PACTE, sont celles relatives aux :

Ø  garanties légales de l’inviolabilité de la vie privée, des correspondances et du domicile (article 17) ;
Ø  garanties légales de la liberté de pensée, de croyance et de religion (article 18) ;
Ø  garanties légales de la liberté d’opinion et d’expression (article 19).

Chacune de ces libertés pourrait être limitée par une loi spécifique, pour des considérations tenant à la sauvegarde de l’intérêt général et  au respect des droits d’autrui. L’ATT est directement concernée par ce Pacte, dès lors qu’elle intervient dans l’enquête sur les crimes des systèmes d’information et de la communication. Elle est concernée également par ce Pacte, puisqu’elle est chargée de « l’exploitation des systèmes nationaux de contrôle du trafic des télécommunications dans le cadre du respect des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme … » selon l’article 2 - tiret 3 du décret 4506-2013.

Sur le plan de la forme, le Pacte de 1966 précise qu’il revient à la loi de poser les limites aux droits qu’il garanti, la même loi devrait prévoir les garanties nécessaires à la délimitation des restrictions, la détermination des crimes  liés à l’exercice abusif de ces droits et les garanties procédurales et juridictionnelles à observer lors des poursuites.

Le recoupement entre le champ d’application des droits reconnus par le Pacte avec le champ d’action de l’ATT permet de soulever des interrogations évidentes liées, d’une part, à la nature réglementaire du texte instaurant l’ATT, et au défaut de délimitation des prérogatives reconnues à cette agence dans le domaine de l’exploitation des systèmes nationaux de contrôle du trafic des télécommunications d’autre part.

Si on ajoute à ces contradictions l’opacité de cette agence sur tous les plans, l’absence de mécanisme d’audit ou de contrôle technique neutre et impartial sur les travaux de l’ATT, et le fait que ses agents ne soient pas assermentés, on finit par se demander : Comment pouvons nous être certain que l’ATT respectera la substance des droits et des libertés reconnus dans les Conventions Internationales ratifiées par la Tunisie à l'image et notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ?

En l’absence de mécanismes de contrôle et d’un code de conduite contraignant et dissuasif, les agents de l’ATT seront, de fait, livrés à eux-mêmes lors de l’exploitation de la plus redoutable infrastructure de contrôle des systèmes de télécommunications en Tunisie.

Il est à rappeler que les droits proclamés dans le Pacte de New York sont substantiellement repris par des lois organiques, qui imposent un seuil minimum de garanties et de transparence dans l’action des instances chargées de superviser l’application de ces lois. L’ATT se permet, ainsi, de se mêler, par simple décret, à un domaine régi par des lois organiques, en s’affranchissant de tous les garde-fous. En effet, l'ATT n'est pas liée, en termes explicites, d'observer les principes de base de la surveillance et l'exploitation des réseaux notamment,  les exigences de la nécessité, la proportionnalité, la transparence, le contrôle public et/ou indépendant ... etc 
Pour tous ces motifs, il convient de constater que l’ATT, telle que conçue par le décret 4506-2013, n’offre aucune garantie concrète de sauvegarde des droits reconnus par les articles  17, 18 et 19  du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.


Récapitulatif 

Le décret portant création de l'agence technique des télécommunications encoure l’annulation, par voie de recours, pour excès de pouvoir devant le Tribunal Administratif, pour inconstitutionnalité, sur la base des motifs suivants :

ð Violation de l’article 6 de l’organisation provisoire des pouvoirs publics et du principe de la séparation des pouvoirs suite à l’empiétant du Président du Gouvernement, agissant par voir de décret réglementaire, sur la compétence du pouvoir législatif, seul admis à habiliter l’ATT, par une loi, à remplir des missions d’enquête et de constatation des crimes.
ð Violation des droits de la défense et des garanties constitutionnelles du procès équitable.
ð Violation du principe constitutionnel de la légalité des peines et des délits.
ð Violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.



B)  Les vices d’illégalité


1)   L’exercice d’une mission d’officier de police judiciaire sans habilitation législative :

Le décret est un texte juridique émanant du chef du pouvoir exécutif,  il n’est pas admis à intervenir, ou à empiéter sur les matières qui relèvent du ressort de la loi, il se doit aussi d’être conforme à la loi.

L’ATT interviendra  directement dans la poursuite civile ou pénale, sur demande du juge, du procureur de la république ou du juge d’instruction, alors que ses agents ne sont ni assermentés ni habilités, par un texte de loi, comme devrait l'être tout officier public, ou tout fonctionnaire de l’Etat, ayant le titre d'officier de la police judiciaire.

Les officiers, exerçant la mission de police judiciaire, parmi les forces de sécurité intérieure, sont énumérés dans l’article 5 alinéa de la loi n°82-70 du 6 août 1982 portant statut général des forces de sécurité intérieure[i]. Bien évidemment, les agents de l’ATT ne font pas partie de cette liste, puisqu’ils n’appartiennent pas au corps des forces de sécurité intérieure.

Selon l’article 9 du Code des Procédures Pénales (CPP), «  la police judiciaire est chargée de constater les infractions, d’en rassembler les preuves, d’en rechercher les auteurs … », elle est exercée en vertu de l’article 10 du même code, sous l’autorité du Procureur Général à la Cour d’Appel territorialement compétente, par :
1)    « Les procureurs de la république et leurs substituts ;
2)    Les juges cantonaux ;
3)    Les commissaires de police, officiers de police et chefs de postes de police ;
4)    Les officiers, sous-officiers et chefs de postes de la garde nationale ;
5)    Les cheikhs ;
6)    Les agents des administrations qui ont reçus des lois spéciales le pouvoir de rechercher et de constater par des procès verbaux certaines infractions ;
7)    Les juges d’instruction dans les cas prévus par le présent code ».

Une lecture combinée de l’article 2 du décret n°4506-2013 créant l’ATT et de l’article 10 du CPP, appelle les conclusions suivantes :

Ø  Les missions de traitement des ordres d’investigation et de constatation des crimes reconnus à l’ATT, se recoupent expressément avec le propre de la mission de la police judiciaire selon les articles 9 et 10 du CPP.
Ø  Le point 6 de l’article 10 du CPP exige, clairement, que l’agent public ou administratif, exerçant une mission de police judiciaire, soit spécialement habilité à constater des crimes déterminés par une loi spécifique. Contrairement à cette exigence légale, les agents de l’ATT sont, illégalement, habilités par décret à constater des crimes dont les contours sont indéfinis.
Ø  L’article 10 du CPP exige l’habilitation légale des agents administratifs à constater les crimes, alors qu’il ne l’a pas exigé pour les autres officiers de police judiciaire car ces derniers, sont préalablement assermentés et mandatés à cet effet par les textes de lois régissant les corps de métiers en question. L’exigence de l’habilitation légale préalable prouve que la qualité d’agent public ou administratif ne suffit pas, aux agents de l’ATT, pour exercer une mission de police judiciaire.

En droit tunisien, un procès verbal constatant un crime n’est valable, en justice, que s’il a été établi par un agent public assermenté et spécialement habilité par la loi à cet effet.

L’habilitation légale n’est accordée à l’officier public chargé de constater les crimes, que s’il répond à des conditions tenant à la probité, à des qualifications techniques confirmées et à un grade professionnel déterminé. Aussi, il est à rappeler que le pouvoir de constatation des crimes reconnus aux officiers publics n'est pas universel, en effet, l’officier public ne peut constater que les crimes qui relèvent de son domaine de compétence technique et qui sont spécifiquement  visés dans la loi qui l’a habilité.

Il est à rappeler aussi, que l’assermentation et l’habilitation légale obligatoires des agents publics, poursuivant une mission de constatation des crimes, ont été prévues dans toutes les lois[ii] ayant reconnu de telles missions à des agents publics ne faisant pas partie du corps des officiers de la police judiciaire.

La mission de constatation des crimes n’est pas à prendre à légère, car « les procès verbaux ou rapports établis par les officiers de la police judiciaire ou les fonctionnaires ou agents auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les délits et les contraventions,  font foi jusqu’à preuve du contraire ». (Article 154 du CPP)

Ainsi et sur la base de cet article, tant que l’habilitation légale fait défaut aux agents de l’ATT, les PV de constat ainsi que les résultats des travaux d’investigation opérés par ces agents, ne pourraient faire foi et devraient être considérés comme nuls, à titre absolu, pour vice d’incompétence, et ne peuvent, en conséquence, servir comme moyens de preuve pour fonder une quelconque condamnation en justice.

On ne comprend pas toujours comment peut-on, grossièrement, déléguer et sans habilitation légale, à des agents administratifs non assermentés, une mission d’enquête, d’expertise judiciaire, de recherche d’identité, de divulgation de données personnelles, de violation du secret des correspondances, ou de constat de faits pouvant constituer des preuves pour l’inculpation une personne ?

Pour toutes ces irrégularités, le décret n°4506-2013 relatif à l’ATT encoure l’annulation, pour excès de pouvoir sur la base des motifs suivants :

ð Violation des dispositions des articles 9, 10 et 154 du Code des Procédures Pénales.
ð Vice d’incompétence résultant  de empiétement sur le domaine e la loi.
ð Violation des dispositions de l’article 5 de la loi n°82-70 du 6 août 1982 portant statut général des forces de sécurité intérieure.


2)   Violation de la compétence des agents assermentés relevant du Ministère des Technologies de l’Information et de la Communication 

L’article 2 du décret n°4506-2013 a confié à l’ATT «  le traitement des ordres d'investigation et de constatation des crimes des systèmes d'information et de la communication issus du pouvoir judiciaire conformément à la législation en vigueur. »

Raisonnablement, cette mission suppose que l’ATT a été conçue pour remplir un vide légal, institutionnel et technique dans le domaine de la constatation des crimes liés aux systèmes d'information et de la communication.
Cet argument ne tient pas puisqu’il existe, en  droit tunisien, tout un arsenal de lois prévoyant qui fait quoi en matière de constatation des crimes liées aux systèmes d'information et de communication. 

En effet, l’article 79 du Code des télécommunications nous apprend que les agents assermentés du Ministère des télécommunications sont habilités à constater les infractions prévues dans le même code. Ces agents partagent cette mission avec les officiers de la police judiciaire et les agents assermentés du Ministère de l'intérieur, selon le même article. 

comment expliquer le dédoublement de fonction, en matière de constatation des crimes, entre les agents assermentés du Ministère ministère des technologies de l’information et de la communication  visés par l'article 79 du code des télécommunications, et les agents de l'ATT chargés de la même mission et travaillant, également, pour une agence placée sous la tutelle du ministère des technologies de l’information et de la communication ?

Outre le Code des Télécommunications, il existe d'autres textes prévoyant la compétence d'agents publics assermentés pour constater les crimes liés aux systèmes d'information et de la communication. On peut citer à titre d’exemple :

ð  La loi n°63-2004 du 27/07/2004 relative à la protection des données personnelles: l’article 102 de cette loi habilite exclusivement les agents assermentés du Ministère des télécommunications, le procureur de la république, le juge cantonal et les officiers de la police judiciaire (Police et Grade Nationale)  à constater les crimes visées par de la loi n°63-2004 relative à la protection des données personnelles.
ð La loi n°51-2005 du 27/06/2005 relative au transfert électroniques de fonds : l’article 19 de cette loi habilite exclusivement les agents assermentés du Ministère des télécommunications, les agents assermentés du ministère des finances, les agents assermentés de l’Agence Nationale de la Certification Electronique et les officiers de la police judiciaire à constater les crimes visés par cette loi.
ð  Le Code des Postes : l’article 22 de ce code habilite exclusivement les agents assermentés du Ministère des télécommunications, les agents assermentés du ministère des finances, les inspecteurs du contrôle économique (visés dans la loi sur la concurrence et les prix) et les officiers de la police judiciaire à constater les crimes prévus dans ce code.
ð  La loi n°36-1994 du 26/02/1994 relative à la propriété littéraire et artistique : l’article 54 (nouveau) de cette loi confie la mission de constatation des infraction a cette loi, exclusivement,  aux officiers de la police judiciaire, les agents des douanes, les agents du contrôle économique désignés conformément au statut particulier du corps des agents du contrôle économique  et les agents habilités par le ministre chargé de la culture, parmi les agents du ministère chargé de la culture et des établissements placés sous sa tutelle, de la catégorie « A » et qui sont assermentés à cet effet.

Ces quelques exemples d’habilitations légales de constatation des crimes suscitent les remarques suivantes :

Ø   Ces lois couvrent une très grande partie des crimes des systèmes d’information et de télécommunication, il s’agit en effet des mêmes crimes que l’ATT est appelée à  constater.
Ø Ces lois imposent aux agents compétents le respect des plusieurs formalités procédurales garantissant un seuil minimum de probité et de garanties, alors que les agents de l’ATT sont vaguement appelés à respecter la « législation en vigueur » lors de l’accomplissement de leurs missions indéfinies.
Ø    Ces lois exigent expressément une assermentation spécifique aux fonctionnaires d’Etat chargés de constater les crimes, alors que le décret relatif à l’ATT ne fait aucune allusion à l’assermentation des agents de cette agence.
Ø    Ces lois sont d’une valeur juridique ou normative supérieure au décret instituant l’ATT, et pourtant, ce décret habilite, illégalement, les fonctionnaires de cette agence à exercer des prérogatives concurrentes à celles prévues par ces lois aux agents publics assermentés.

Le principe du parallélisme des formes impose l’adoption d’une loi pour habiliter les agents de l’ATT à exercer des missions concurrentes à celles reconnues par d’autres lois à des fonctionnaires assermentés.
En conséquence,  il a été établi que le décret instituant l’ATT repose sur des vices d’excès de pouvoir et encoure l’annulation pour ces motifs :
  
Ø  Violation des règles de la compétence ;
Ø  Violation du principe général du droit qui fait que «  nul ne peut conférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même » (article 551 du Code des Obligations et des contrats).
Ø  Empiétement sur les prérogatives d’agents publics mandatés par un texte de loi.


Sinon, les agents de l’ATT peuvent, entre-temps et en parfaite illégalité, se contenter de remplir leur vraie mission, celle de l’exploitation des systèmes nationaux de contrôle du trafic des télécommunications.

III)  Voie de recours :

Le décret réglementaire est l’instrument normatif permettant à l’autorité qui représente  l’exécutif, d’exercer le pouvoir réglementaire général. Un tel pouvoir permet au pouvoir exécutif, dans les limites fixées par la constitution, d’agir par décret en tant législateur, en édictant des règles juridiques générales à vocation réglementaire.

Le décret à caractère réglementaire intervient :
-         soit en application d’une loi qui lui délègue la détermination des détails réglementaires.
-      soit à titre primaire pour réglementer une matière qui relève d’office de la compétence du pouvoir exécutif.
-   soit par défaut pour réglementer une matière qui ne relève pas, expressément, du domaine de la loi.

Bien qu’il se situe au sommet des instruments juridiques utilisées par le pouvoir exécutif, le décret à caractère réglementaire est, néanmoins, tenu de se conformer à ses supérieurs hiérarchiques dans la pyramide des normes juridiques, à savoir, le décret-loi, la loi ordinaire, la loi organique, la loi référendaire, les principes généraux du droit, les conventions internationales et enfin la constitution.

D’ailleurs, c’est l’inobservation de la hiérarchie des normes juridiques qui a souillé le décret n°4506-2013 relatif à l’ATT, d’illégalité et d’inconstitutionnalité.

Sur le plan contentieux, la voie d’action directe admise en droit tunisien pour l’annulation du décret instituant l’ATT est celle du recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal Administratif.

Le recours en annulation contre un décret à caractère réglementaire doit, sous peine d’irrecevabilité, satisfaire à des conditions procédurales et formelles spécifiques[iii]. En effet, l’article 35 de la loi organique n°40-1972 du 1er juin 1972 relative au Tribunal Administratif, dispose que :

« Le recours pour excès de pouvoir, concernant les décrets à caractère réglementaire est introduit par l'intermédiaire d'un avocat à la cour de cassation.  Le recours préalable y est obligatoire. »

Une fois le recours préalable intenté devant l’autorité ayant édicté le décret attaqué, le président du gouvernement Tunisien disposera d’un délai de deux mois (60 jours) à partir de la date du dépôt du recours préalable pour formuler sa réponse.

Selon l’article 37 (alinéa 3) de la loi organique n°40-1972 du 1er juin 1972 relative au Tribunal Administratif, « le silence observé par l’autorité concernée, durant deux mois à partir de l’introduction du recours administratif préalable, est considéré comme une décision implicite de refus permettant au concerné de saisir le tribunal administratif, dans les deux mois qui suivent le jour de l’expiration dudit délai ».

Ainsi, si la réponse explicite de l’autorité concernée ne parvient pas au requérant durant les deux mois suivant le dépôt de son recours préalable, celui-ci devra introduire son action en annulation devant le Tribunal Administratif dans les deux mois (60 jours) qui suivent le jour de l’expiration du délai de 60 jours accordée à l’autorité concernée pour répondre au recours préalable.

Concernant le décret n°4506-2013 du 6 novembre 2013 relatif à l’ATT, il a été publié au  Journal Officiel n°90 du 12 novembre 2013. Ainsi, le plaignant dispose d’un délai de 60 jours allant jusqu’au 11 janvier 2014 pour déposer un recours préalable contre ce décret auprès du président du gouvernement tunisien contre décharge.

Les délais de recours une fois dépassés, le décret °4506-2013 sera immunisé contre le recours direct en annulation. Toutefois, il demeure indéfiniment critiquable, indirectement, par voie d’exception. Une telle voie permet à tout justiciable, lors d’un procès, de réclamer au juge de ne pas appliquer le décret en question dans le cas d’espèce pour causes d’illégalité et d’inconstitutionnalité.


Processus du recours

Recours en annulation pour excès de pouvoir contre un décret à caractère réglementaire
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Délais du recours : dans les 60 jours à partir de la publication du décret au Journal Officiel de République Tunisienne
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ü  Nature du recours : recours administratif préalable
ü  Où déposer la requête du recours préalable : auprès du président du gouvernement tunisien
ü  Qui rédige et dépose la requête : un avocat à la Cour de Cassation
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Délais de réponse de l’autorité concernée : 60 jours à partir du dépôt du recours préalable

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En cas de refus implicite résultant du silence de l’autorité concernée durant  les 60 jours à partir du dépôt du recours préalable :

En cas de refus explicite de l’autorité concernée durant  les 60 jours à partir du dépôt du recours préalable :
le requérant devra déposer sa requête auprès du Tribunal Administratif dans les 60 jours qui suivent le dernier jour de ce délai.

le requérant devra déposer sa requête auprès du Tribunal Administratif durant  les 60 jours qui suivent la date de la notification du refus explicite.





[i]  Publiée au Journal Officiel n°54 du mardi 10 et vendredi 13 août 1982, p 1698.
[ii] Exemples d’officiers publics assermentés et habilités par des lois spéciales :

Ø  Loi n°22-1995 du 14/04/1995 relative à l’organisation des professions de la marine marchande : les officiers assermentés de la marine marchande appartenant au ministère des transports sont spécialement habilités au constat des crimes. (articles 12 et 13).
Ø  Code des Douanes : les agents des douanes, les officiers de la police judiciaire visés par l’article 10 CPP, les gardes forestiers et les soldats de l’armée tunisienne sont tous assermentés et habilités par la loi à constater les crimes douaniers. (article 301)
Ø  Code des Eaux : les crimes visés par ce code sont constatés par les agents de la police et de la garde nationale, les agents assermentés des ministères de l’agriculture et de la santé publique. Si ces crimes occasionnent des dégâts à la santé publique ou domaine public de l’Etat, il revient aux ingénieurs du ministère de l’agriculture et aux médecins et aux ingénieurs du ministère de la santé publique, dûment habilités à cet effet par la loi,  de constater les dégâts en question. (article 156)
Ø  Code des hydrocarbures : les officiers de la police judiciaire et les agents des services des hydrocarbures, dûment habilités, sont chargés de constater les infractions visées dans ce code. (article 137-1)
Ø  Code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels : les officiers de la police judiciaire, les agents des gouvernorats et des municipalités chargés du contrôle des infractions, les agents assermentés du ministère de la culture habilités parmi les contrôleurs spécialisés dans le patrimoine et les agents du ministère de l’urbanisme habilités parmi le corps des ingénieurs et les techniciens. (article 86)
Ø  Code des ports maritimes : les unités de la marine nationale, les officiers de la police judiciaire et 9 corps d’officiers publics assermentés appartenant à plusieurs administrations sont habilités à constater les crimes visés dans ce code. (article 133)
Ø  Code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme : les officiers de la police judiciaire cités aux points1, 2, 3 et 4 de l’article 10 CPP et 6 corps d’officiers publics assermentés appartenant à plusieurs administrations sont habilités à constater les crimes visés dans ce code. (article 88)

[iii]  L’exigence de formalités supplémentaires, par rapport celles requises pour le recours ordinaire en excès de pouvoir, répond à des impératifs d’opportunité. Etant un recours en annulation contre un texte juridique, le recours pour excès de pouvoir contre un décret à caractère réglementaire implique la formulation de demandes purement et entièrement juridiques puisqu’il n’y a pas de faits à prouver ou à contester. En exigeant l’introduction de l’instance par un avocat à la Cour de cassation, la loi a cherché à garantir un seuil   élevé de technicité et de sérieux.

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