cet article est rédigé par Etienne Wery
Avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (cabinet (ulys)
Avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (cabinet (ulys)
(publié sur Droit & Technologies, le 18/02/2011)
Les interventions techniques limitées de Dailymotion (réencodage, etc.) sont justifiées par la seule nécessité, en cohérence avec la fonction de prestataire technique, de rationaliser l'organisation du service et d'en faciliter l'accès à l'utilisateur sans pour autant lui commander un quelconque choix quant au contenu qu'il entend mettre en ligne.
En janvier et février 2007, les titulaires de droits du film « Joyeux Noël », ont fait constater la présence du film sur le site http://www.dailymotion.com/.
N'obtenant pas satisfaction, ils portent l'affaire en justice, marquant ainsi le début d'une saga judiciaire qui verre la juges hésiter longuement quant à la qualité « d'hébergeur » au sens de la loi LCEN.
Au sens de la LCEN, l'hébergeur est la personne qui assure le simple stockage de contenus fournis par les utilisateurs de ce service ; l'enjeu de cette qualification est important car ces prestataires bénéficient réellement d'un régime de responsabilité exorbitant du droit commun. Leur responsabilité ne peut être engagée que si ayant eu connaissance d'un contenu litigieux via leur service, il n'agit pas promptement pour en empêcher l'accès.
Les juges vont hésiter. Pour les uns, le modèle économique de Dailymotion l'empêche d'être hébergeur. Pour d'autres, le fait que l'hébergeur fasse une promotion active de ses services en sachant qu'une part significative du contenu est illicite, l'empêche pareillement de bénéficier du régime favorable de la LCEN. D'autres encore analysent l'intervention technique de Dailymotion qui réencode les vidéos, les répertorie ou en limite la taille pour estimer que ces prestations vont au-delà du statut de simple hébergeur.
L'affaire aboutit en cassation. L'arrêt n° 165 du 17 février 2011 (09-67.896) de la première chambre civile devrait mettre un terme à ces hésitations.
En résumé, la cour de cassation estime que les interventions techniques limitées de Dailymotion (réencodage, etc.) sont justifiées par la seule nécessité, encore en cohérence avec la fonction de prestataire technique, de rationaliser l'organisation du service et d'en faciliter l'accès à l'utilisateur sans pour autant lui commander un quelconque choix quant au contenu qu'il entend mettre en ligne.
Egalement, la cour confirme que l'exploitation du site par la commercialisation d'espaces publicitaires n'induit pas une capacité d'action du service sur les contenus mis en ligne.
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 6 mai 2009) d'avoir débouté M. X..., la société Nord-Ouest films et la société UGC Images de leurs demandes alors, selon le moyen :
1°/ que ne peut prétendre au régime de responsabilité limitée, exorbitant du droit commun, prévu par l'article 6 de la loi du 21 juin 2004, que l'intervenant technique qui assure le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages mis à disposition du public au moyen de services de communication au public en ligne exploités par des tiers ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'au-delà de la prestation technique de stockage qu'elle offre, la société Dailymotion exploite un service de communication au public en ligne, le site www.dailymotion.com, par lequel elle propose au public, destinataire de ce service, «de créer un espace personnel au sein duquel [ils ont] la faculté de mettre en ligne et de stocker [leurs] vidéogrammes personnels, d'autoriser l'accessibilité à cet espace personnel, soit par l'ensemble de la communauté des internautes, soit par un cercle plus ou moins large en fonction de critères [qu'ils auront] déterminés, ou au contraire de l'interdire pour se [les] réserver à titre exclusif, d'attribuer à chacun de [leurs] contenus un élément d'identification notamment au regard d'un classement par rubrique (Animaux - Extrême - Amusant - News .. etc) et de créer les mots-clés permettant de le référencer au sein du moteur de recherche du service, d'accéder, dans les limites de l'autorisation qu'ils auront accordée, aux espaces personnels des autres utilisateurs et de visionner leurs contenus, de poster des commentaires, de modifier à tout moment les modalités de l'accessibilité à [leur] espace personnel, de retirer à tout moment l'un quelconque de [leurs] contenus voire tous [leurs] contenus» ; qu'en jugeant néanmoins que la société qui exploite ce service de communication au public en ligne pouvait se prévaloir du régime de responsabilité limitée prévu par l'article 6 de la loi du 21 juin 2004, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé le texte susvisé ;
2°/ qu'en toute hypothèse, seul peut prétendre au régime de responsabilité limitée, exorbitant du droit commun, le prestataire technique dont l'activité, purement passive et totalement neutre, est limitée au processus technique d'exploitation et de fourniture d'un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d'améliorer l'efficacité de la transmission ; qu'une société qui gère, organise et anime un service de communication au public en ligne tel que le site www.dailymotion.com et se rémunère par la location d'espaces publicitaires sur celui-ci ne peut bénéficier de ce régime dérogatoire ; qu'en appliquant ce régime à la société Dailymotion, la cour d'appel a violé l'article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004, ensemble l'article 14 de la directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le réencodage de nature à assurer la compatibilité de la vidéo à l'interface de visualisation, de même que le formatage destiné à optimiser la capacité d'intégration du serveur en imposant une limite à la taille des fichiers postés, sont des opérations techniques qui participent de l'essence du prestataire d'hébergement et qui n'induisent en rien une sélection par ce dernier des contenus mis en ligne, que la mise en place de cadres de présentation et la mise à disposition d'outils de classification des contenus sont justifiés par la seule nécessité, encore en cohérence avec la fonction de prestataire technique, de rationaliser l'organisation du service et d'en faciliter l'accès à l'utilisateur sans pour autant lui commander un quelconque choix quant au contenu qu'il entend mettre en ligne ; qu'il ajoute que l'exploitation du site par la commercialisation d'espaces publicitaires n'induit pas une capacité d'action du service sur les contenus mis en ligne ; que de l'ensemble de ces éléments la cour d'appel a exactement déduit que la société Dailymotion était fondée à revendiquer le statut d'intermédiaire technique au sens de l'article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir débouté M. X..., la société Nord-Ouest films et la société UGC Images de leurs demandes et notamment de celle tendant à la condamnation de la société Dailymotion pour avoir manqué à son obligation de retirer promptement le contenu litigieux après réception de la lettre recommandée du 22 février 2007 par laquelle M. X... et la société Nord-Ouest la mettaient en demeure de procéder au retrait immédiat du film Joyeux Noël, alors, selon le moyen :
1°/ que la preuve de la connaissance, par l'hébergeur, du caractère illicite des informations qu'il stocke peut être rapportée par tout moyen ; qu'aucune disposition n'impose de porter les faits incriminés à la connaissance de l'hébergeur dans les formes prévues à l'article 6-I-5 de la loi du 21 juin 2004 ; qu'en retenant, pour débouter les demandeurs de leur action contre la société Dailymotion, que «les informations énoncées à la mise en demeure sont insuffisantes au sens des dispositions précitées de l'article 6-I-5 à satisfaire à l'obligation de décrire et de localiser les faits litigieux mise à la charge du notifiant», la cour d'appel a posé une condition qui ne figure pas dans la loi, et a violé l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 ;
2°/ qu'en jugeant, après avoir constaté que M. X... et la société Nord-Ouest avaient adressé le 22 février 2007 une lettre de mise en demeure à la société Dailymotion l'informant de ce que le film cinématographique de long métrage, créé et réalisé par M. X..., intitulé Joyeux Noël, était diffusé illicitement sur son site, à la suite de laquelle cette dernière société avait procédé à un retrait partiel des contenus incriminés, que la société Dailymotion «n'a eu connaissance effective du contenu litigieux qu'avec l'assignation à jour fixe et les pièces annexées soit à la date du 28 avril 2007», la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 ;
3°/ que par courrier qui lui a été adressé le 22 février 2007, la société Dailymotion a été informée de ce que le film cinématographique de long métrage, créé et réalisé par M. X..., intitulé Joyeux Noël, pouvait être visionné sur le site www.dailymotion.com et que cette diffusion, sans autorisation des titulaires des droits moraux et patrimoniaux sur cette oeuvre, portait atteinte à leurs droits ; qu'en considérant que le courrier adressé le 22 février 2007 à la société Dailymotion, qui précisait le titre de l'oeuvre protégée, son format et son auteur, ne permettait pas à l'opérateur de disposer de tous les éléments nécessaires à l'identification du contenu incriminé, la cour d'appel a dénaturé cet écrit et a violé l'article 1134 du code civil ;
4°/ qu'en jugeant que la société Dailymotion «n'a eu connaissance effective du contenu litigieux qu'avec l'assignation à jour fixe et les pièces y annexées soit à la date du 18 avril 2007», la cour d'appel a dénaturé ces pièces et en particulier les procès-verbaux d'huissier des 30 janvier 2007, 19 février 2007 et 26 mars 2007, et a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que la notification délivrée au visa de la loi du 21 juin 2004 doit comporter l'ensemble des mentions prescrites par ce texte ; que la cour d'appel, qui a constaté que les informations énoncées à la mise en demeure étaient insuffisantes au sens de l'article 6-I-5 de cette loi à satisfaire à l'obligation de décrire et de localiser les faits litigieux mise à la charge du notifiant et que celui-ci n'avait pas joint à son envoi recommandé les constats d'huissier qu'il avait fait établir et qui auraient permis à l'opérateur de disposer de tous les éléments nécessaires à l'identification du contenu incriminé, a pu en déduire, sans encourir le grief du moyen, qu'aucun manquement à l'obligation de promptitude à retirer le contenu illicite ou à en interdire l'accès ne pouvait être reproché à la société Dailymotion qui n'avait eu connaissance effective du contenu litigieux qu'avec l'assignation à jour fixe et les pièces annexées soit à la date du 18 avril 2007 ;
source : http://www.droit-technologie.org/actuality/details.asp?id=1388