Le discours du Président de la République Tunisienne du 3 mars 2011, annonçant la feuille de route politique à court terme, n'est pas sans rappeler un moment fort de l'histoire politique et constitutionnelle de la Tunisie au milieu des années 1950.
En effet, le Président de la République a déclaré qu'un décret d'organisation provisoire des pouvoirs publics sera promulgué dans le courant du mois de mars 2011 pour pallier à la situation de vide constitutionnel auquel le pays est confronté dans la mesure où l'on ne peut aller jusqu'au bout de la logique constitutionnelle actuelle basée sur l'article 57 de la constitution qui impose l'organisation d'une élection présidentielle anticipée dans les 60 jours suivants la constatation de la vacance du poste de Président de la République.
Le décret en question remplacera, de fait comme de droit, la constitution agonisante du 1er juin 1959 devenue synonyme de despotisme et symbole du culte de la personne du Président de la République surtout depuis mai 2002, date à laquelle la constitution a été "violée" et dénaturée sous prétexte d'acheminer le pays vers " la République de demain " selon le président déchu Ben Ali et son parti fanfare le RCD à l'époque.
Pour revenir à notre clin d'œil historique, il est à noter que la Tunisie renoue aujourd'hui avec une tradition constitutionnelle et politique qui remonte au 21 septembre 1955, date à laquelle le Bey de l'époque, le dernier de la dynastie Housseinite, avait promulgué un décret beylical portant organisation provisoire des pouvoirs publics en attendant la mise en place d'une Assemblée Nationale Constituante alors que la Tunisie s'apprêtait à conquérir son indépendance obtenue le 20 mars 1956.
Le recoupement entre ces deux moments historiques réside dans le recours à un décret d'organisation provisoire des pouvoirs publics sans doute tourné vers la poursuite d'un objectif majeure, celui d'assurer la pérennité de l'Etat dans un contexte exceptionnel en attendant que le peuple se prononce par la voie de ses représentants dans le cadre d'une assemblée constituante. En septembre 1955, c'était la ferveur de la libération nationale d'une Tunisie colonisée par la France, alors qu'en mars 2011, c'est la ferveur révolutionnaire d'une Tunisie qui vient de se libérer d'un tout autre colonialisme "national", celui d'un régime ultra-présidentialiste, policier, mafieux et "analphabète".
Le décret beylical du 21 septembre 1955 a préparé le terrain conceptuel et juridique à un autre décret encore plus important et décisif, celui du 29 décembre 1955 portant appel au corps électoral à l'élection d'une Assemblée Nationale Constituante pour le Royaume de Tunisie.
En date du 6 janvier 1956, le Bey promulgue un décret fixant le régime juridique régissant les élections de l'Assemblée Constituante selon un mode de scrutin libre, universel et direct.
Les élections de l'Assemblée ont eu lieu le 25 mars 1956, soit cinq jours seulement après l'accès de la Tunisie à l'indépendance.il est à noter qu'il y avait eu une certaine concurrence entre les listes concurrentes et notamment entre les puissantes listes du Parti du Néo-Destour (le Parti de la libération nationale avec le docteur MAHMOUD EL MATRI et BOURGUIBA aux commandes) et les listes communistes.
L'Assemblée Constituante s'est réunie pour la première fois le 8 avril 1956, elle avait pour objectif de concevoir une constitution consacrant un régime parlementaire pour le Royaume tunisien jusqu'au jour où elle décide de violer la légalité en se basant sur la légitimité populaire afin d'instaurer la République en date de 25 juillet 1957. Suite à ce changement de paradigme, il n'était plus question d'opter pour un régime parlementaire instable et inapproprié à la conjoncture selon Bourguiba qui soutenait vivement le choix d'un régime présidentiel source de stabilité et de continuité afin de bâtir le nouvel Etat.
En 1958, un projet de Constitution fût élaboré et soumis à trois lectures successives au sein de l'assemblée qui a couronné le processus par la promulgation de la première Constitution de la République Tunisienne le 1er juin 1959, une constitution qui "comptait" sur le Président de la République en l'élevant au rang de locomotive de l'action étatique afin de répondre aux exigences circonstancielles de l'époque.
C'est cette thèse de la " Constitution taillée sur mesure pour la Tunisie " qui a été soutenue par ALI BELHOUENE, alors premier rapporteur général du projet de la Constitution, lors de la séance du 30 janvier 1958.
En 2011, un consensus quasi général fait que l'on doit reconnaitre au grand peuple tunisien la souveraine prérogative de se doter d'une nouvelle Constitution qui répondra à ses aspirations quant au régime politique qui lui va le mieux.
Ainsi, on verra sous peu, un décret organisant temporairement le fonctionnement des pouvoirs publics, puis un décret fixant les règles de jeu régissant les élections de l'Assemblée Constituante fixées pour le 24 juillet 2011.
Le processus de transition vers l'instauration d'une nouvelle ère en Tunisie s'est fait presque de la même manière que ce soit en 1955 ou en 2011, c'est en quelque sorte une confirmation de la richesse d'un savoir faire politico-constitutionnel puisant son assise dans une longue tradition réformiste qui a commencé avec OTHMAN DEY (1598-1610) qui a eu l'idée de promulguer une sorte de charte de droits et d'organisation politique appelée à l'époque : la Balance "AL MIZENE" (الميزان) puis au 19ème siècle avec l'abolition avant-gardiste de l'esclavage en 1846 et la promulgation de la constitution de 1861, la première dans le monde arabe.
Sur ce clin d'œil historique, je vous laisse et vous donne rendez-vous pour la prochaine bataille à savoir, le très délicat choix du mode de scrutin et le dispositif légal régissant les prochaines élections de l'Assemblée Nationale Constituante de la Tunisie de l'après Ben Ali.
* Ces modestes propos sont dédiés en l'honneur de mes chers professeurs et doyens : ABDEL FATTAH AMOR et YADH BEN ACHOUR.
bonne chance
bonne nuit
ahla b lawled